La liberté d’expression est une arme (licite)

J’ai été interpellée par votre chronique de samedi dernier, dans laquelle vous avez expliqué qu’un pistolet confectionné à partir d’une imprimante 3D pouvait être considéré comme une arme et que, sans autorisation, on risquait une sanction pénale. J’avais toutefois entendu parler du cas d’une journaliste qui avait confectionné un tel pistolet mais n’avait pas été condamnée. Qu’en est-il au juste?

Gisèle

Le cas que vous mentionnez existe bel et bien et a fait l’objet d’un arrêt du Tribunal fédéral du 12 décembre 2024 sur un sujet fort intéressant: la contradiction entre deux normes légales.

Arme imprimée

En 2019, dans le cadre de la réalisation d’un reportage visant notamment à démontrer la (trop grande) facilité avec laquelle il était possible de se procurer des armes imprimées en 3D, une journaliste de la Radio Télévision Suisse (RTS) a téléchargé sur internet les plans de construction d’une telle arme, puis a sollicité des offres en ligne auprès de personnes offrant en Suisse romande des services en matière d’impression en 3D. C’est ainsi qu’elle a reçu les pièces de l’arme à son bureau et les y a assemblées. À la fin du mois de mars 2019, cette journaliste a bel et bien demandé à la police cantonale genevoise une autorisation exceptionnelle pour sa démarche, mais celle-ci n’a pas pu lui être délivrée à temps. Au début du mois d’avril 2019, elle a néanmoins transporté le pistolet – sans percuteur ni munitions – en prenant le train de Genève à Lausanne, où elle s’est entretenue avec un spécialiste de la question des armes imprimées en 3D. Découvrant ce comportement au travers du reportage, les autorités pénales ont sévi…

Au niveau cantonal, la Chambre pénale avait reconnu la journaliste coupable d’infraction à la loi fédérale sur les armes (LArm) pour le transport de l’arme en question et l’a condamnée à une amende de 1500 francs sur la base de son article 33.

Liberté d’expression

Cependant, le Tribunal fédéral a considéré que cette condamnation pour des infractions à la LArm n’était pas compatible avec la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui comprend également la liberté des médias et de la presse. Au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, une sanction dans un tel cas ne s’avérait pas nécessaire dans une société démocratique, ni ne répondait à un besoin social impérieux. Notre Cour suprême a également rappelé l’article 14 du Code pénal suisse, à teneur duquel il doit être considéré qu’une personne se comporte de manière licite lorsqu’elle agit comme la loi l’ordonne ou le permet, même si elle commet un acte punissable en vertu d’une autre loi.

C’est ainsi que la journaliste a bénéficié d’un acquittement total, quand bien même elle a fait quelque chose d’interdit.

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